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Il est touché par la grâce ou par le délire médiatique à ce moment on ne peut pas savoir, il est engoncé dans son casque enfoncé dans ses épaules son cou sa tête son tronc ne font qu'un on lui enlève ses gants on lui relève sa visière on le masse de partout on le sort de l'habitacle des gens crient des gens hurlent la nation entière sans dents et sans chaussures explose en clameurs infinies en ricochets sans perte de force puis on le conduit ailleurs dans une voiture il ne conduit pas il est quasi couché il ne sent rien même pas la joie ou alors très très profond et il ne veut pas la leur donner les journalistes sont partout la fédération les médecins on voit plein de gens on ne sait pas qui c'est mais tout le monde en essaim autour de la voiture il s'extrait c'est un bloc de douleur un gros bloc de muscles de nerfs de fibres agacées à l'insupportable me touchez pas me touchez pas il dit aux gens putain mais me touchez pas je vous dis les gens s'écartent religieusement honteux puis le père dans un coin de l'image fait son entrée pataude il boîte il prend des rides à chaque seconde de voir son fils comme ça être le jouet de Dieu c'est insupportable mais il est quand même fier il n'ose pas s'approcher tandis que l'élu fend la foule et que tout à coup il le voit et que son visage se déplie se défroisse et ne voit plus que lui et dit mais toi approche approche papa enfin

15/06/19

C'est bien, c'est très bien ! Pense à expulser l'air, inspirer ça se fait tout seul tu n'y penses pas mais si tu n'expulses pas ça te monte à la tête et tout se paralyse ! Allez ! Et tu regardes quoi, là ? Tes chaussures ? T'inquiète pas tu vas pas tomber ! Mais à quoi ça me sert de courir, Nuno ? Arrête de parler et continue, tu gâches de l'air et c'est tout ! Non mais vraiment à quoi ça me sert de savoir courir puisque je serai dans une voiture à 300km/h ? Ferme-la et cours ! Allez il te reste un seul tour ! Allez donne tout maintenant, pour un tour tu peux le faire ! Putain ça va qu'on s'entend bien Nuno parce que franchement j'en peux plus je pourrais te virer là ! Allez expire expire expire eeeet non allez finalement je te remets dix tours ! Comme ça tu apprends à gérer ta frustration psychologique et ta douleur physique ! Fils de puuuuute ! Allez oui c'est ça vas-y crie et pense bien à expirer surtout ! Je te hais Nuno ! Mais oui Ayrton ! Allez fais-moi ces dix tours maintenant !

17/06/19

Nuno, ils racontent tous n'importe quoi. Ils m'appellent "le passager de la pluie". Ils disent que lorsque le ciel se déchaîne sur moi je suis heureux car je suis Son protégé. Ils disent que je fais des miracles. Ou bien ils disent que je suis sournois et que tracer tout le monde sur du bitume mouillé est bien un truc de sournois. Ils disent que j'aime la pluie car j'aime qu'Il pleure sur les dangers que je prends. Mais j'aime pas la pluie, Nuno. C'est horrible parce que je ne vois rien d'autre que le sillage des pneus. Je vais comme un fou sans rien voir alors oui, peut-être que je compte un peu sur Lui. Mais je ne peux pas lever le pied.

17/06/19

"Voilà un présent pour vous Senna-san !" Il accepte l'offrande, déplie le papier religieusement, affreusement lentement. Sorti d'une voiture tout semble pour lui s'étirer en d'interminables secondes. Et il sort de ce papier délicat une sorte de poterie japonaise. Oui, c'est bien une sorte de poterie japonaise. L'homme n'a jamais été en contact avec ce genre d'objet et ne sait absolument pas de quelle façon il convient de réagir. "C'est de l'art ?" On n'entend pas la réponse du journaliste. Il reste face à l'objet, perplexe, cherchant à être intelligent pour combler le fait qu'il a passé sa vie derrière un volant et ne sait pas comment se comporter face à une poterie. "Vous voyez (dit-il plus lentement qu'un prêtre) : il y a des choses que je ne comprends pas. Mais comme je vous le disais face aux choses que je ne comprends pas j'essaie de garder une attitude ouverte et positive."

12/07/19

Allongé sur son lit frais la nuque contre un oreiller frais dans la chambre d'hôtel fraîche climatisée avec de l'illusion d'air avec un minibar rempli de caprices avec des pantoufles moelleuses avec des complimentary products de toutes sortes avec des serviettes immaculées en veux-tu en voilà à jeter désinvoltement au sol après s'être délassé dans la douche ébène à jets rotatifs de cette interminable séance photo avec le casque dans les bras et le masque de joie sur le visage. Enfin pas le casque car il n'a pas eu le droit de toucher au casque bien sûr mais le lourd cube transparent qui contient le casque et par ce transparent fait éclater le mystère de sa présence, la célèbre nuance de jaune, les marques Honda Marlboro Boss Nacional car le pilote n'est rien de plus qu'un homme-sandwich très riche, et dans ce casque il n'y a pas de tête. Il se lève en ayant peur de se lever s'approche en ayant peur de s'approcher se trouve tout bête d'un coup et touche la vitrine tapote. Le casque a été monté dans sa chambre et il trône là. Il soulève la vitrine avant de s'en rendre compte et pose sa main là où il y avait le front. Il ne sent rien. Il prend le casque à deux mains et en éprouve la taille la résistance le symbole le vintage le sacré. Il ne sent rien. Il enfile le casque. Il est nu noir et jaune au dix-septième étage et ne sent rien. 16/06/19

Gisait sous le voile sacré la machine dont nul n'entendrait plus le son. Gisait profond sous la terre l'homme qui avait su l'espace de quelques années la vêtir comme son manteau. Gisait l'objectif de la machine. Gisaient la sueur la vitesse. Puis voilà qu'on la dévoile à nouveau comme un gros cadeau anachronique. N'oublions pas. Humanité, n'oublie jamais cette machine-là, celle-là même. Un technicien se penche religieusement et met le contact. Le moteur tourne à vide comme un violon, strident et dur. Quelque part le coeur d'un petit garçon devenu vieux explose une nouvelle fois, à nu, dans sa cage thoracique.
10/07/19

Je me couche à côté de mon mort
J'ai résisté toute la journée
Je me suis dit c'est ton mort tous les jours
Alors pourquoi t'allonger près de lui spécialement aujourd'hui
Juste parce que c'est le jour
Où sa tête s'est enfoncée dans un mur
Pourquoi spécialement aujourd'hui l'étreindre sans qu'il le sache,
M'allonger sur le sol comme sur son corps
Et dire une petite prière à ses os
J'ai résisté car le monde s'en fiche
Mais mon premier mai à moi
C'est un front enfoncé
Une gorge trouée
Un médecin qui pleure
Un hélicoptère qui dégorge
Alors je me couche à côté de toi
Merci de me laisser faire sans me connaître
Idole

01/05/20

C'est l'histoire d'un petit garçon très riche. Ah tu veux pas qu'il soit riche ? Bon. Il est riche mais il est très gentil ! Enfin non il est pas super gentil. Bon bref c'est l'histoire d'un petit garçon qui -- beau je sais pas, il a les yeux très très noirs et il a les oreilles décollées et des cheveux un peu trop bien peignés, mais bon tu écoutes mon histoire ? Donc l'histoire c'est un petit garçon très riche pas super gentil aux oreilles décollées et au regard méchant, et -- et il sait ce qu'il veut dans la vie, en même temps c'est pas très dur de le savoir car tout le monde est à ses pieds, oui un prince c'est un peu comme un prince, oui on va dire que c'est un prince, et alors ce prince a un pouvoir magique en plus de sa super richesse c'est que quand il pleut c'est comme si Dieu pleurait sur ses épaules, et il sent alors que Dieu lui dit dépêche-toi petit garçon fais vite ton affaire... Oui Dieu répète ça à chaque fois qu'il pleut, dépêche-toi petit garçon fais vite ton affaire, et il répète ça en pleurant en pleuvant, et le petit garçon fait la tête et lui dit qu'est-ce qui se passe Dieu pourquoi tu pleures, qu'est-ce qui peut m'arriver je suis prince et toi t'es que de la pluie, et Dieu continue de pleurer et le regarde grandir et devenir un roi et ses oreilles restent décollées et son regard profond et méchant et romantique et un jour où il fait très très beau le roi se dit mince où est passé Dieu, mais c'est que Dieu n'a plus de larmes tu vois parce qu'il a tout pleuré et il est tout bouffi du visage dans le ciel, il a pleuré tout ce temps parce qu'il savait qu'il devrait rappeler le roi bien vite auprès de lui, alors le roi est mort comme c'était prévu et il s'est envolé en hélicoptère mais on sait pas s'ils se sont retrouvés parce que peut-être que Dieu c'était que de la pluie finalement, et voilà, je sais pas comment finir, oui t'as raison, je raconte que des histoires tristes de toute façon

24/06/20

Quoi si tôt ? Mais tu n'as même pas les yeux ouverts. Bon d'accord bon. Il était une fois un garçon, tu sais ce garçon dont je parle tout le temps. Celui avec les oreilles décollées et des châtaignes piquantes à la place des yeux, celui qui est devenu pilote. Oui oui je sais mais là je veux te parler d'autre chose. Laisse-moi te raconter cette histoire. Allez s'il te plaît laisse-moi te la dire, écoute. Il était une fois un garçon très sérieux. Il était bien plus sérieux que tous les adultes autour de lui qui riaient et ne comprenaient pas, ils le poussaient du coude et disaient mais ris bon sang tu es un enfant, mais lui ne riait pas ne souriait pas, et à cause de cela les adultes ne l'aimaient pas. Les enfants ne l'aimaient pas non plus. Il avait un pli éternel entre les deux yeux et il marchait aussi droit que son pli. Personne ne l'aimait vraiment et au lieu d'en être attristé il en ressentait une certaine gloire ce qui est paradoxal pour un enfant de son âge. Il n'avait pas de petite copine non plus bien sûr ni de petit copain ni rien. Alors parfois il tirait très fort sur ses grandes oreilles pour entendre au moins quelque chose résonner dans son crâne et il souhaitait très fort que ce soit Dieu qui parle au creux de sa tête car il pensait que de tous les soutiens sur Terre seul celui de Dieu valait la peine qu'il attende et pleure et trépigne de recevoir la mission qui justifiait tant de solitude.

05/09/20

Coller ma bouche au direct live

Coller ma bouche à ta bouche

Coller ma bouche à tes yeux

Coller ma bouche à ton front

Coller ma bouche à ta gorge ouverte

Ça devient grave

Ils le disent autour

Qui le dit ?

J’ai plus de voisins

Quand je regarde une photo de toi

Et une photo de moi

Je me dis que je suis morte

Et que tu vis

Que tu pleures quelque part

Dans une suite d’hôtel

Car j’étais célèbre

Et que ma mort est une grande perte

Mais quand j’ouvre la fenêtre

Les rues sont vides

Personne à mes funérailles quotidiennes

Et c’est bien toi qui manques

26/01/21

Je suis un poisson. Je suis un poisson normal, un poisson banal. Je ne pourrais pas dire exactement quelle sorte de poisson je suis puisque je ne suis qu'un poisson, je ne sais pas dire. On m'a jeté là il y a quelques semaines, mois ou années, je ne sais pas dire. Je fais partie d'un lot de soixante-mille poissons qu'on a jetés là, dans ce lac pas trop mal mais pas ouf non plus. C'est un homme très élégant qui un jour tout déformé par la surface de l'eau a dit : mon lac est vide, je veux des poissons dans mon lac, et on nous a fait venir pour lui faire plaisir. Le plan c'était qu'on se fasse pêcher un par un, qu'on meure l'un après l'autre pour lui faire plaisir quand il aurait des invités. Jamais d'invités, il est toujours occupé, surtout les week-end. On survit. On se regarde. On attend. L'homme ne revient pas. Un jour - c'est le 1er mai 1994, pourquoi je sais dire ça ? - des cris résonnent de partout comme des ondes, même dans l'eau. Tout le lac vibre et tremble et hurle. Les cinquante-neuf mille neuf-cent quatre-vingt dix-neuf poissons et moi, on sent qu'on ne nous pêchera jamais.

18/08/21

Il se tut

Un long moment

Il prenait le temps

De se taire

De peser

Ce qui venait

D'être dit

(Certains le haïssaient pour ça)

Et son front soudain relevé sous les boucles

Ses grosses châtaignes brunes remplies à ras bord

(La pensée lui était venue

Lentement

Pour couler par ses yeux)

Il répondit :

Vous avez raison

Et j'ai tort

Il me serra la main

Et sa main était franche

Et sa main était douce

Et sa main était celle d'un enfant puni

Qui essaie de paraître un homme

23/01/21

Trompettes. Cymbales. Flûte traversière. Dans le lointain un hélicon doux. Chants d'anges. Nuages de sucre. Larmes de miel. Ayrton se tient à la porte du Paradis à côté de sa McLaren MP4/4.

AYRTON - Approche papa ! Je te dis d'approcher, n'aie pas peur il n'y a pas de journalistes.

MILTON - Tu es tellement magnifique. Je ne sais pas quoi dire c'est un peu gênant, je suis tellement heureux mais j'ai laissé maman, elle est en bas, ce n'est pas correct d'avoir de la joie sans elle.

AYRTON - Maman s'occupe de mon patrimoine, elle est bien, elle viendra quand elle aura terminé. Approche je te dis ! N'aie pas peur.

MILTON - Mais je ne pourrai plus leur parler de toi.

AYRTON - Tu pourras parler avec moi.

MILTON - Mon fils mon fils mon fils mon fils mon fils mon fils mon fils mon fils mon fils mon fils mon fils mon fils mon fils mon fils

Milton franchit la porte du Paradis. Vrombissements de moteurs. Drapeaux à damiers s'agitant à la porte. Serpentins. Confetti. Pluie de champagne. Lyre. Cantiques.

28/10/21

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